Raise from your grave !

Voici un souvenir qui m’est très cher, qui a forgé pour toute ma vie une partie de qui je suis devenu, quelles sont mes ambitions, mes passions, mon destin certainement également. Cette histoire, même si très résumée, a été comptée notamment dans la longue double interview que j’ai donné pour l’émission Traces, disponible en ligne :

https://podcloud.fr/podcast/tracesjv/episode/philippe-dubois-sur-la-rocambolesque-histoire-de-lassociation-mo5-premiere-partie

Mais commençons sans plus attendre mon récit.

Nous sommes vers l’été 1985 et nous allons voir les amis de mes parents près de Montpellier comme à d’accoutumée, les Vincent. Ils ont eux aussi plusieurs enfants, Patrice et sa petite sœur, et nous avons découverts Patrice et moi un intérêt commun pour la micro-informatique et les jeux vidéo. C’est d’ailleurs chez lui que quelques années avant j’avais pour la première fois de ma vie rencontré l’Atari VCS : Il m’avait fait joué à Empire Strikes Back, Indiana Jones ou encore Asteroids alors que j’avais à peine 9 ans, et cela avait changé ma vie. J’étais sorti de chez lui avec une seule idée en tête : Je voulais absolument une console de jeu vidéo ! Ce qui se matérialisa dès le Noël de la même année par une Schneider Videopac G7000.

C’est donc avec un intérêt palpable que je pars avec mes parents les rejoindre, mais cet été, cette fois-ci, nous n’allions pas chez eux dans leur grande maison avec tout le matériel de Patrice, non, nous avions rendez-vous chez les grands-parents de celui-ci en campagne, peut-être dans le Gard ou un peu plus haut dans l’Hérault, au-dessus de Montpellier. Ce n’était en tout cas et heureusement pas si loin.

En arrivant sur place, effectivement, c’était la belle campagne du Sud de France : un grand champ d’herbes séchées avec un petit cabanon aux murs blancs sur notre gauche, et au bout du chemin de terre, une grande et belle vieille maison du coin dans laquelle les grands-parents, adorables, nous attendaient. Mais j’étais tout de même un peu déçu que cette fois-ci nous découvrions pas tel ou tel jeu, ou machine, ou langage de programmation. C’était simple et bonne franquette, sous le soleil magnifique de ce dimanche d’été.

Mais alors que nous sirotions un quelconque breuvage frais de circonstance, Patrice se lève soudain et me dit : « Viens, Philippe, il faut que je te montre le cabanon de mon grand-père ! Il y a plein de machines là-bas ! » « Ah bon ? Ah oui ok ok ! ». Nous sortons de la grande maison pour rejoindre le cabanon que nous avions croisé lors de notre arrivée. Patrice m’explique que son grand-père a tenu un bar ou un café dans le coin il y a quelques années et qu’il a gardé des flippers de ce temps dans le cabanon, et que c’est chouette.

Tu m’étonnes !

Nous sommes rentrés dans le cabanon poussiéreux en poussant une vieille porte à moitié bloquée, rempli de toiles d’araignées, baigné dans la lumière si chaude de ce soleil d’été. Il y avait bien là sur le coté droit en rentrant quelques flippers très anciens, des années 60/70 je dirais de tête, avec encore des compteurs analogiques. Certains étaient intacts, d’autres en morceaux. Cela proférait une ambiance très étrange au lieu, un peu façon Alice au Pays des Merveilles, comme si ces flippers nous attendaient, là, sagement, depuis des années, désirant jouer avec nous. Mais Patrice continue son tour du petit cabanon qui contenait milles trésors à nos yeux d’ados. Et c’est là que nous la vire : Une borne cocktail de jeu vidéo. C’était la première fois de ma vie que je voyais un tel objet, qui allait me marquer à jamais qui plus est. Elle était là, noire, semblant intacte. Nous avons débarrassé en hâte tout ce qui en encombrait le plateau pour laisser apparaitre l’écran. A première vue, la borne semblait en relatif bon état par rapport aux flippers. Le petit écran en son milieu avait son filtre qui flottait au-dessus du verre, mais il n’était pas brisé.

Nous l’avons d’abord observé sous toutes ses coutures : Dessus, dessous, sur les cotés, ah tiens la manette et les boutons sont là, oh, regardes, l’interrupteur et la prise d’alimentation sont ici !

« On la branche ? »
« Quoi ?  »

C’était fou. J’avais déjà quelques connaissances en électricité et en électronique, et je savais qu’un vieil appareil ainsi à l’air libre, sur lequel il avait peut-être plut même, sans compter les potentiels insectes à l’intérieur, présentaient un danger à la remise en tension. Mais cette borne, bon sang, c’était si intriguant ! Quel jeu renferme-t-elle ? Fonctionne-t-elle encore ? Tu crois qu’on pourrait y jouer, à un jeu d’arcade en plus, un vrai ? Patrice trouve un câble électrique non loin, le plugge dans la machine. Nous reculons d’un pas ou deux, je tends le bras un peu tremblant et j’ose basculer l’interrupteur de mise en tension. CLAC.

Rien.

Mais en fait, pas tout à fait rien. On sent quelque chose vibrer dans la machine, on sent la vie refaire son chemin dans ses entrailles. Il y a même un son un peu lourd d’alimentation électrique qui sort faiblement du haut-parleur. Il se passe quelque chose, mais quoi ? De crainte que cela se termine mal, nous coupons l’alimentation au bout de quelques secondes à peine. Ouf, au moins ça n’a pas explosé ! 😀

Un peu fébriles et pris d’une nouvelle fougue, nous prenons notre courage à quatre mains et ouvrons alors la machine. Le plateau bascule relativement facilement, la borne était ouverte, dévoilant ses entrailles. Plein de cartes électroniques, le tube, son bulbe et ses bobines au milieu, des toiles d’araignées partout. Ce n’était pas bien folichon à première vue. Néanmoins, et comme ce fut toujours le cas dans ces machines, je l’apprendrais plus tard, tout était bien séparé : Les alimentations, souvent à droite, la carte mère du jeu à gauche ou le contraire, et les cartes de l’écran collées à lui. Chaque endroit de la borne avait sa fonction, donc, logiquement et selon les symptômes, nous pourrions peut-être voir où ça coince ?

Tels des docteurs Frankenstein, nous décidons de retenter le coup. Nous reculons de nouveau de quelques pas, mais cette fois-ci machine ouverte, débarrassée du lourd plateau. Cette opération allait nous permettre de voir visuellement ce qui se produisait dans la borne lorsque l’on essaie de l’allumer. CLAC.

Cette fois-ci, l’écran s’allume, Euréka ! Il n’y a pas grand chose dessus, on voit peut-être au bout d’un moment quelque chose en haut qui devrait être… le score ? et des trucs qui bougent en bas, de couleur, mais rien de reconnaissable. Mais néanmoins, c’était extraordinaire ! Cette borne fonctionnait encore ! Notre attention était à son comble, nous guettions Patrice et moi le moindre signe de dysfonctionnement, d’arcs électriques, de fumée, de quoi que ce soit qui ferait couper court à notre petite expérience sans foutre le feu. Mais non, il ne se passait plus grand chose, juste quelques pixels gesticulants sur l’écran.

Nous l’avons de nouveau éteint. Mes maigres connaissances en électronique à l’époque nous ont tout de même aiguiller vers des manipulations simples à réaliser et qui pourraient peut-être nous aider à faire fonctionner cette borne, un peu mieux du moins. Nous avons alors entrepris de débrancher les peignes électriques d’alimentation ou de signaux vidéo, pour les rebrancher immédiatement, en faisant un couple d’aller-retour avec chaque : De quoi gratter un peu le métal des prises pour que le contact électrique soit meilleur. Je connaissais également le rôle, vite fait hein, des potentiomètres. Nous avons trouvé un couteau plutôt fin dans le cabanon, et avec, patiemment, nous avons fait tourner les potentiomètres autour de leur axe, un par un, doucement et en nous remémorant à quel angle ils étaient réglés à l’origine. Nous n’avions rien sous la main de sérieux pour restaurer cette borne mystérieuse, ce qui allait de pair de toutes façons avec nos connaissances, balbutiantes. Nous étions vraiment en terrain quasi inconnu, mais plein d’espoir.

Après un premier tour de bricole, nous rallumons la borne, et nos efforts commencent à payer : Le score s’affiche en haut distinctement, et on voit maintenant plus bas ce qui semble être des ennemis qui font des tours sur l’écran, alors que ce qui semble être des étoiles défilent dans le décor. Wow !  Néanmoins, nous nous apercevons par exemple que nous ne voyons pas encore le joueur, et que les ennemis ont en fait des problèmes assez grotesques : leur corps est séparé en deux, et les parties hautes et basses sont distinctes de quelques dizaines de pixels. Le jeu reste pour l’instant encore inidentifiable.

Nous reprenons alors le cycle à zéro : Ce peigne-là, tu l’as défait et remis ? non ? attends, je redonne un coup de potentiomètre ici, je gratte un peu là, etc. Troisième essai, les choses s’améliorent grandement ! Les ennemis sont de nouveau en un seul morceau ou presque, et on commence à voir apparaitre quelques pixels du vaisseau du joueur. Il se passe plein de choses sur cet écran maintenant revenu à la vie ! Nous devenons fous d’exaltation !

Un quatrième essai et le titre du jeu apparait enfin, majestueux : C’est Phoenix :

Je me rappelle que nous n’avions pas de pièces pour lancer une partie, mais nous avons peut-être pu bricoler un peu le monnayeur encore présent pour ajouter des crédits et jouer un peu. Mais ce n’était pas ce qui était le plus important à mes yeux.

Lorsque cette borne est revenue à la vie, telle le Phénix dont elle permettait justement de jouer une partie, avec ce jeu d’arcade légendaire, tel l’oiseau divin, un très profond sentiment de satisfaction m’a envahi et est venu remplacer l’exaltation de la découverte et les craintes de faire n’importe quoi. J’ai adoré, plus que ça même, j’ai été sublimé par la réparation de cette borne, par le fait de faire revivre, tel un golem, cet objet mort et dénué de vie pour qu’il fonctionne de nouveau et nous offre ses meilleurs atouts dans ce jeu vidéo que j’ai toujours beaucoup aimé.

Cela m’a transformé profondément. Cette jouissance de pouvoir ressusciter ce qui semble mort, inanimé, créé par la main de l’homme mais abandonné aux affres du temps, cette sensation, cette conviction de faire quelque chose d’utile et de plaisant en réparant une machine de nos jours, c’est exactement et précisément toujours ce même sentiment qui m’anime lorsque je travaille sur les collections de l’association ou la mienne, voir celle des amis. Cette expérience a donc fait en grande partie qui je suis maintenant, pour reboucler sur l’introduction de ce long souvenir, et vous savez maintenant beaucoup plus intimement ce qui m’anime et m’animera toujours.

Alors, vive les réparations, vive les vieilles machines, et que vivent les jeux vidéo 😉

Hors propos, ou pas :

Depuis, cette symbolique du Phoenix renaissant de ses cendres et à la vie m’a toujours attiré. Outre la mythologie connue, je l’ai également retrouvé dans d’autres œuvres plus modernes et avec grand plaisir, aussi bien dans le chevalier Ikki de Saint-Seiya (« Que les ailes du Phoénix t’emportent ! » Woot ! 😀 ) ( https://fr.wikipedia.org/wiki/Ikki_(Saint_Seiya)) que dans Dota 2 par exemple avec la sublime biographie de ce héro que j’ai joué de nombreuses fois, et beaucoup apprécié : https://www.dota2.com/hero/phoenix

Je la cite ici, car c’est tellement beau et si magnifiquement bien écrit :

« La mission du premier soleil du gardien, unique source de lumière d’une vaste étendue obscure, était de répandre la chaleur dans le vide abyssal. Au fil des siècles immémoriaux, cette lueur éblouissante entreprit de concentrer son énergie incalculable au point de faire jaillir le rayon cataclysmique d’une supernova. Du brasier émergèrent de nouvelles lueurs, des progénitures stellaires identiques au premier soleil qui, comme lui, parcoururent un océan de noirceur avant de trouver une place dans la constellation. Avec le temps, elles aussi devinrent capables de se propager grâce aux flammes de la supernova. Ce cycle éblouissant de naissances et de renaissances se répéta ainsi jusqu’à ce que tous les cieux taillés par le Titan brillent de mille feux.

Au fil des millénaires, l’étoile que les êtres mortels finiraient par appeler Phoenix naquit, et comme ses ancêtres, elle fut propulsée dans un cosmos infini en quête d’une place parmi ses frères stellaires. Mais la curiosité qui animait les âmes anciennes pour la vie dans l’obscurité s’empara du nouveau venu. Pendant de longs cycles, il étudia et fit des recherches. Il apprit que parmi les mondes, entiers comme brisés, naitrait bientôt un nexus d’une remarquable variété, pris dans une lutte éternelle aux portées cosmiques, dans un plan qui réclamait plus que la lumière d’un lointain soleil mourant. C’est ainsi que l’enfant des soleils prit forme terrestre. En attendant d’accomplir son destin solaire, il parcourt le monde et partage sa chaleur et sa lumière avec quiconque en ayant le plus besoin. »

Dans un atout autre style, j’apprécie énormément le sublime morceau de The Cult du même nom  :

Quelque part, ce dont je suis persuadé et qui me motive énormément, est que chaque matin est une nouvelle renaissance, une nouvelle chance de faire des choses intéressantes et utiles pour nous les hommes. Bref, j’aurais adoré que mon signe astrologique soit le Phénix selon l’astrologie Chinoise 😉

Merci de m’avoir lu !

Amitiés,
Philippe « Prez » Dubois

Posted in Voyages intersidéraux.

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